Beaucoup d’ouvrages
sur le thé s’appliquent, en quelques lignes, à expliquer comment infuser une
tasse de thé selon les principes du thé gongfu.
On lira chez certains auteurs qu’il faut mettre 4g de thé dans sa théière,
d’autres expliqueront que l’eau doit être chauffée à 85°C. C'est ignorer
entièrement les principes du gongfu cha
qui prônent par-dessus tout l’expérimentation. Kakuzô Okakura, dans le livre du
thé, n’évoque pas une seule fois les différentes techniques de préparation. Les
inévitables erreurs et incertitudes qui entourent l’infusion sont nécessaires
et acceptées. Seule la beauté ne doit pas faire défaut : « de même qu’il n’existe nulle règle fixe présidant
à la création d’un Titien ou d’un Sesson, on ne saurait produire un thé parfait
à partir d’une seule et unique recette. Chaque façon de préparer les feuilles
possède sa particularité, ses affinités électives avec l’eau et la chaleur, ses
souvenirs héréditaires, sa manière propre de raconter. Mais la vraie beauté
doit toujours rester présente. »[1]
Certes, il existe
de techniques éprouvées qui permettent à ceux qui font leurs premières
infusions d’éviter les catastrophes et le gaspillage d’un excellent thé. Mais
les recommandations de ce type doivent permettre une définition de la cérémonie
par la négative : ne pas conserver son thé dans sa cuisine, ne pas infuser
un thé vert avec une eau à 90 °C, autant de conseils qui permettent d’éviter
certaines embûches, mais pas de tracer une voie directe vers la tasse parfaite
qui exempterait le buveur de faire des essais, des recherches et des erreurs.
Les tâtonnements et le temps nécessaires pour acquérir la technique, les
fondements et les secrets du gongfu cha
sont ainsi à la base de cette pratique et en font toute sa profondeur. De nos
jours, le marché du thé propose un large éventail de qualités : il est
possible, pour un prix modeste, de s’offrir différentes sortes de thé et ainsi
de faire des essais d’infusion sans risquer de gâcher un grand cru. Cependant,
quelques gestes et principes de bases inévitables fondent la pratique du gongfu cha et il convient de rapprocher
les gestes de la cérémonie des ustensiles décris plus haut.
Prenez vos outils, puis oubliez-les
« Un
bon thé se boit dans une tasse chaude » dit l’adage. Il s’agit donc,
avant toute infusion d’ébouillanter les ustensiles. Préparer un thé à une
température étudiée pour en révéler toutes les qualités et le servir dans des
porcelaines froides gâcherait les saveurs de l’infusion. Il est donc essentiel
d’ébouillanter son service. Pour cela, on place les tasses et la carafe
l’ouverture vers le haut, le gaiwan
ou la théière sans son couvercle. Les gaiwan sont généralement ainsi fait que
le couvercle peut tenir aisément lorsqu’il est glissé entre le récipient et la
soucoupe. Quant à la théière, on peut tenir son couvercle dans la main, le
poser dans la passoire ou sur un support prévu à cet effet. Les ustensiles sont
toujours posés sur un support, remis à leur place ou gardés à la main, mais
jamais posés tels quels sur le plateau ou la nappe.
Les utilisateurs du bateau à thé pourront
se laisser aller à ébouillanter largement tout le service tandis que ceux qui
présentent leur chaxi sur une nappe
prendront soin de ne pas en mettre une goutte à coté. Par ce seul exercice, on
comprend combien la pratique du gongfu
cha sur une nappe est plus complexe que sur un bateau à thé ! Le
respect du confucianisme et des règles de bienséances veut que l’on ébouillante
les ustensiles, placés tout autour du plateau, dans le sens inverse des
aiguilles d’une montre. C'est une forme de respect pour les invités :
symboliquement, remonter le temps de cette manière permet de signifier le
plaisir que l’on prend à les accueillir autour de la table, le temps dont on
dispose et que l’on est prêt à leur sacrifier. Ebouillanter son service, comme
l’introduction de toute chose, est une manière de souhaiter la bienvenue et de
rappeler que l’on souhaiterait que le temps s’arrête pour savourer cet instant
à l’infini. C'est évidemment également une manière de nettoyer son service et
de commencer à préparer son thé dans des tasses dépourvues de poussière ou de
résidus.
Il convient ensuite
de vider les tasses de leur eau, en les attrapant à l’aide de la pince qui
figure parmi les six ustensiles. On peut vider l’eau directement dans le
bateau, dans le large récipient prévu à cet effet, ou encore la verser sur les
figurines qui se trouvent sur le plateau. On place ensuite les tasses devant les
invités ou sur la nappe de façon adaptée à la position que l’on adoptera au
moment de servir. De nombreux modèles de petits plateaux pour les tasses sont
disponibles dans le commerce et permettent de disposer proprement les tasses
devant les invités. On prend ensuite le lotus, dans lequel reposent les
feuilles de thé, préalablement sorties de leurs boites à l’aide de la cuillère
et/ou du couteau et exposées sur la table de thé depuis le début de la
préparation. On profite généralement de ce moment pour faire sentir à ses
invités les feuilles de thé sèches dans le lotus. Comparer le parfum des
feuilles de thé avant leur infusion, après qu’elles aient été ébouillantées et
le parfum de l’infusion elle-même révèle de nombreuses facettes d’un même thé,
et souvent des différences surprenantes.
Faites des choix
Vient ensuite la
préparation du thé lui-même avec toutes les possibilités que cela implique. Les
choix qui seront fait à ce stade dépendent entièrement du thé qui a été
choisi : son âge, sa catégorie, sa qualité… ce sont les feuilles de thé
elles-mêmes qui président à la cérémonie du thé. Des caractéristiques des
feuilles découleront tous les paramètres de l’infusion : choix des tasses,
temps d’infusion, température de l’eau, gaiwan
ou théière… La façon de déposer les feuilles dans le gaiwan ou la théière
dépend également du thé choisi. On verse généralement les feuilles de thé dans
le gaiwan ou dans la théière vide
préalablement ébouillantés, mais certains thés verts demandent une attention
particulière et préfèrent délivrer leurs saveurs en étant versés directement
sur l’eau du gaiwan. Pour d’autres
encore, on emplit d’eau la moitié du gaiwan,
on dépose les feuilles et on recouvre d’eau. Cependant, quelque soient les
paramètres sélectionnés pour l’infusion, il s’agit d’avoir des gestes précis et
gracieux sans être maniérés, d’aller à l’essentiel avec sobriété sans être
rustre. Les gestes parasites, qui donne une sensation inconfortable de
brusquerie, sont à éviter à tout prix : on trouve dans les maisons de thé
qui emploient du personnel peu formé des serveuses qui préparent le thé avec
beaucoup de tremblements et de secousses. Lorsque l’on vide la théière par
exemple, il est important de ne pas laisser d’eau au fond, sous peine de
continuer à infuser le thé. Il est alors important de remuer légèrement le thé
dans la théière ébouillantée après l’y avoir placé. Il est souvent tentant à
cet instant de secouer la théière pour en faire sortir les dernières
gouttes ou réchauffer les feuilles : un défaut très stressant pour
l’invité car il nuit à l’harmonie et à la sobriété des gestes.
Après avoir infusé
le thé dans la théière ou le gaiwan,
il convient de verser son contenu dans la cruche ou, comme on l’a vu plus haut,
pour les téméraires, directement dans les tasses. La température très élevée de
la porcelaine et de la théière rend cette opération assez délicate. Après avoir
été ébouillantée, puis avoir reçu l’eau de l’infusion pendant plusieurs
secondes, voire plusieurs minutes, les parois du gaiwan et de la théière sont extrêmement chaudes et il peut
s’avérer périlleux de l’attraper à la main. Pas d’autres choix pourtant, et il
s’agit alors de trouver une position des mains gracieuse et stable, permettant
de verser le thé sans prendre le risque ni de se brûler, ni de laisser échapper
la théière. Les personnes expérimentées préfèreront tenir leur théière à une
seule main, tenant l’anse entre le majeur et le pousse et retenant le couvercle
en posant l’index sur le bouton mais il n’existe aucune règle rigide régissant
cette question et il est important d’adopter la position la plus confortable et
la moins dangereuse.
Aiguisez vos sens
Lorsque l’on
prépare du thé en utilisant des tasses à parfum, on verse le thé dans ces
tasses en premier. C'est un geste surprenant pour les novices qui ne saisissent
pas forcément comment ils vont pouvoir boire le thé de cette manière ! En
réalité, on pose la tasse de dégustation sur la tasse à parfums puis on
retourne l’ensemble pour inverser la position des tasses. Cette étape est appelée
« renverser le soleil (la tasse de dégustation) et la lune (tasse à
parfums) ». On soulève ensuite délicatement la tasse à parfums qui déverse
alors son contenu dans la tasse de dégustation. Cette méthode permet
d’imprégner de thé la tasse à parfums tout en remplissant parfaitement la tasse
de dégustation, qui est alors prête à être consommée. Les tasses sont le plus
souvent remplies aux deux tiers et jamais jusqu’au bord.
On commence par
sentir la tasse longue, désormais vide, pour apprécier les parfums du thé qui
se sont déposés sur ses parois, pendant que le thé refroidit légèrement dans
l’autre tasse. On boit ensuite son thé en plusieurs gorgées, « au moins
trois » si possible, en référence au caractère chinois 品 (pin), qui signifie
« déguster ». Cet idéogramme, formé de trois caractères de la bouche,
rappelle que la dégustation passe par de petites gorgées et non par
l’ingurgitation grossière d’une grande quantité de thé à la fois.
Pour déguster la
tasse de thé, on a vu que l’on distingue deux manières de tenir sa tasse :
celle des hommes et celle des femmes. La manière de boire est la même : on
aspire le thé à petite gorgées, parfois en le faisant rouler dans la bouche
pour éviter de se brûler.
« Pourquoi
tout les ustensiles de la cérémonie du thé sont-ils si petit ? »
s’entêtent à demander les novices de la préparation gongfu en découvrant les ustensiles. « Vous jouez à la
dinette », disent les mauvaises langues. Il s’agit en réalité, encore une
fois, de réunir tous les paramètres permettant d’infuser la tasse idéale. La
taille réduite des accessoires permet à celui qui infuse le thé d’avoir une
grande maîtrise à la fois de ses gestes, mais également des quantités et de la
température. Servez votre thé dans un grand bol et vous goûterez plus les joies
de vous brûler la langue et de terminer sur un mélange tiédasse plutôt que le
plaisir de déguster une excellente infusion. L'idéal est de boire le thé
chaud : si l’on choisit de se passer de la cruche et de verser directement
le thé dans les tasses, la taille de la théière sera optimisée pour qu'une
infusion permette de remplir les tasses de tous les participants. De cette
manière, les personnes présentes pourront goûter à un thé identique (ou
presque) et faire part de leurs impressions sur cette dégustation.
Aujourd'hui, on
peut accomplir ces gestes chez soi, avec son propre matériel, ou se rendre dans
une maison de thé ou des professionnels vous proposeront soit de faire du thé
pour vous, soit de vous apporter les ustensiles nécessaires et de vous laisser
faire.
[1] Kakuzô OKAKURA - Le livre du thé – Picquier Poche, 2006. - p. 39