Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Tribulations au Royaume de Cathay
25 janvier 2009

De l'interprétation abusive de chacun de mes gestes

.

Il y a quelque choses d'extrêmement fatiguant à fréquenter des personnes issues d'une autre culture.
.
Lors de mes premiers échanges scolaires à l'étranger, on nous répétait que nous étions "les ambassadeurs de notre pays" sitôt que nous mettions les pieds hors de nos frontières. Chanter à tue-tête dans la rue, taguer les murs, se moquer des passants, c'était honteux pour nous, mais aussi pour notre Nation entière. A l'époque, j'avais plutôt l'impression que les passants locaux se seraient dit que si nous mâchions du chewing-gum ou que nous poussions des petits cris stridents quand les garçons nous tiraient les cheveux, c'était surtout parce que nous avions 14 ans. Je ne sais pas ce qu'il en était vraiment : un passant qui aurait su que nous étions Français aurait-il mit notre comportement sur le dos de notre âge ou de notre nationalité? Ça dépend des passants, bien sûr, mais pour moi, une Malaisienne de 15 ans qui porte un t-shirt au dessus du nombril, c'est d'abord parce qu'elle a 15 ans, pas parce qu'elle est Malaisienne.

Toujours est-il que maintenant, je suis à un stade où il semble qu'aucune caractéristique de ma personne ne puisse expliquer mes comportements que ma nationalité : âge, sexe, préférences politiques, niveau d'éducation, aucun de mes interlocuteurs ne semble imaginer que cela puisse me définir. Je suis Française.
J'en ressens un profond inconfort vis-à-vis de mes concitoyens : à chaque fois que j'ouvre la bouche ou que j'élance mes baguettes vers un plat, c'est vous tous que je définis de façon péremptoire aux yeux de mes interlocuteurs.

"Tu veux des fraises?
- Non.
- Ah, elle n'aime pas les fraises.
- C'est normal, les Français ne sont pas habitués au goût des fraises, il n'y en a pas là-bas."

Désolée : en un refus de fraise, j'ai malgré moi plongé toute la France en un lieu sinistre où la fraise n'a jamais fait son apparition, et j'ai transformé tous les Français en de frileux individus qui refusent catégoriquement de manger des choses dont ils n'ont pas l'habitude du goût.
Dommage que je n'ai pas su dire que la fraise était connue en Europe depuis l'Antiquité, mais j'ai quand même expliqué que les fraises un 25 janvier, ça cache quelque chose de pas du tout naturel, et de certainement très peu écologique. Heureusement, ils n'en ont pas conclu illico que tous les Français étaient de sombres écolos rabat-joie. Quoique, ils ne l'ont peut-être juste pas dit.
Le même s'est étonné, plus tard dans la soirée, que j'accepte de manger des litchis alors que je refusais les fraises. J'ai abandonné la partie par peur de lui faire croire que tous les Français brandissaient un calendrier des saisons au moment du dessert.

Tout cela pour vous dire que depuis plusieurs mois, je bouillonne d'entendre des commentaires généralisateurs : c'est déjà agaçant quand ça découle d'une vérité sur moi (les Français ne mangent pas de yaourts, les Français ont les cheveux châtains, les Français préfèrent le salé au sucré, les Français apprennent d'abord l'allemand et ensuite l'anglais...), mais c'est encore pire quand, comme dans le cas de la fraise, cela aboutit à une aberration totale (les Français n'aiment pas les endroits chauds -parce que je ne suis jamais allée à Canton-, les Français n'ont pas la télévision -parce que je pars en week-end avec plusieurs romans-, les Français ne savent pas s'intégrer et sont extrêmement hostiles à la découverte d'autres cultures -parce que je ne pense pas habiter toute ma vie en Chine). Et encore, quand c'est seulement 60 millions de personnes qui se font mettre dans le même panier, on s'en sort bien, parce que c'est souvent carrément "les Occidentaux".

.

Qu'on ne se méprenne pas sur mon propos, je ne suis pas en train de décrire une tendance naturelle des Chinois à brosser un portrait de leurs interlocuteurs à grand coups de pinceau national. Je retrouve parfaitement cette attitude quand je rentre en France et que l'on me pose des questions sur la Chine (à commencer par l'exaspérant "alors, les Chinois, ils sont gentils?" qui donne envie d'arracher les yeux de son interlocuteur et de lui faire compter un par un les résidents de ce grand pays).

Je revendique juste le droit, pour moi et pour chacun, d'être un personnage complexe (eh oui!) formé par de multiples courants et qui ne ressent parfois rien de commun avec certaines personnes de son propre pays.

.

Pour conclure ce billet, un petit passage de l'extraordinaire livre Les Identités meurtrières d'Amin Maalouf, qui dit bien mieux que moi tout cela, en soulignant à merveille les implications actuelles de ce comportement :

"Parfois, lorsque j'ai fini d'expliquer, avec mille détails, pour quelles raisons précises je revendique pleinement l'ensemble de mes appartenances, quelqu'un s'approche de moi pour murmurer, la main sur mon épaule : "Vous avez raison de parler ainsi, mais au fond de vous-même, qu'est-ce que vous ressentez?"

Cette interrogation insistante m'a longtemps fait sourire. Aujourd'hui je n'en souris plus. C'est qu'elle me semble révélatrice d'une vision des hommes fort répandue et, à mes yeux, dangereuse. Lorsqu'on me demande ce que je suis "au fond de moi-même", cela suppose qu'il y a, "au fin fond" de chacun, une seule appartenance qui compte, sa "vérité profonde" en quelque sorte, son "essence" déterminée une fois pour toutes à la naissance et qui ne changera plus ; comme si le reste, tout le reste -sa trajectoire d'homme libre, ses convictions acquises, ses préférences, sa sensibilité propre, ses affinités, sa vie en somme-, ne comptait pour rien. Et lorsqu'on incite nos contemporains à "affirmer leur identité" comme on le fait si souvent aujourd'hui, ce qu'on leur dit par là c'est qu'ils doivent retrouver au fond d'eux même cette prétendue appartenance fondamentale, qui est souvent religieuse ou nationale ou raciale ou ethnique, et la brandir fièrement à la face des autres".

.

Bonne année du Buffle, du Yak, de la Vache, ou de tout autre ruminant de votre choix, qu'il soit de votre pays ou pas.

.

.

Publicité
Commentaires
M
A suivre, cet Amin Maalouf, à suivre...
C
Merci tout d'abord pour le passage sur mon blog ! Je decouvre avec plaisir le tien et ton experience de vie asiatique ! <br /> Cette note m'a fait beaucoup rire. A vrai dire, c'est l'echange avec l'etranger qui se caracterise ainsi. Originaire d'un pays slave, je subis les memes reflexions tous les ans avec toujours une petite touche cynique "sont betes ces occidentaux" <br /> bon courage et bonne année à toi !
T
Chère Melle France qingMali: evitez les robes bleu-blanc-rouge et les chignons tour Effel,vous verrez, le regard changera !<br /> moi, je sais bien que tous les chinois crachent de la mélamime sur le trottoir, c'est pourquoi ils sont condamnés à mort...<br /> c'est quoi, les "fraises" ?
C
Pas de fraise...ces propos me confirment que tu n'es pas enceinte.... oups! Je me rends compte que je viens de faire en direct une généralisation!!<br /> Bonne année des ruminants!!<br /> Bizous
Tribulations au Royaume de Cathay
Publicité
Archives
Publicité