Si, promis, j'ai une vie sociale. Mais là, en l'occurrence, ma colocataire a entamé un régime. Et ça consiste à ne plus manger. Ça n'a pas encore donné de résultats concluants sur son physique, mais ça a pour effet de me faire manger seule (parce que moi, vous vous en doutez, j'ai pas arrêté de manger).
Donc ça a commencé comme ça, dans un restaurant en face de chez moi. Celui qui a ouvert il y a deux semaines en mettant de la musique à fond dès 8h un dimanche matin. Autant dire que lui et moi, ça avait mal commencé. Mais j'ai quand même fait ma curieuse, et quand j'ai vu la déco, je lui ai tout pardonné. Les serveurs sont en vareuse verte et casquette étoilée, les murs sont couverts de coupures de journaux des années 60, et les étagères jonchées de bibelots Mao. On mange assis sur des kang ou des chaises en bois, dans des ramequins et des tasses en fer blanc. Du style, du second degré, et 4 sortes de riz, dont un aux légumes secs que j'adore, et pour seulement 2元.
C'est là qu'ils sont arrivés. Bonjour. Française. 23 ans. Aucune.
Là, je me suis méfiée. J'ai échangé des banalités avec des Chinois intrigués par mon origine des dizaines de fois, mais jamais la question sur ma religion n'était arrivée en 4ème position. En plus je n'ai aucun vocabulaire sur ce sujet. A suggérer à ma prof de chinois jeudi.
Du coup, je ne suis pas sure qu'on se soit bien compris quand j'ai dit que je n'avais pas de religion. Moi j'ai voulu dire « athée » et lui il a compris « agneau de Dieu perdu dont il faut sauver l'âme ». Comme en discutant, j'ai été obligée de poser mon bouquin, il en a profité pour me montrer que lui aussi, il lisait un livre. Il a sorti de la nuit une bible qui pesait un âne mort et m'en a lu un passage. J'ai écouté sagement, le regard posé sur une assiette peinte d'un Mao Zedong resplendissant, avec une pensée émue pour mes Quatre Vieilleries.
J'avais déjà eu affaire à des catholiques Chinois dans une auberge de jeunesse de Xi'an, et je les avais gardés en mémoire comme des prosélytes bavards mais sympathiques (mais bavards, parce qu'à 2h du matin, il serait temps de se taire pour que les autres voyageurs qui partagent ce dortoir puissent enfin se reposer!).
Et puis les deux, là, dans ce restaurant entourés de petits Mao en plastique, ils avaient l'air gentil quand même. Ils m'auraient dit qu'ils étaient militants Français pro-Tibet ou membres de la Roue de la Loi, j'y aurais cru. Et puis j'ai eu droit à des explications très patientes sur les mots que je ne comprenais pas, et je me suis dit que chic, ça me faisait des amis Chinois patients qui m'apprendraient plein de choses. Et ils ont eu la politesse de ne pas relever le fait que pendant tout ce temps, je m'étais mis de la sauce de soja jusqu'aux oreilles, et largement sur ma jolie robe bleue.
Dans la bataille, les numéros de téléphones ont été échangés et j'ai voulu demander depuis combien de temps ils s'étaient converti au catholicisme. J'avais même pensé un instant que je pourrais faire une thèse sur les Chrétiens de Chine.
Et là, il m'a dit qu'ils n'étaient pas chrétiens. Que les Chrétiens avaient tort. Et qu'il m'expliquerait en détail pour quelles raisons lors de notre prochaine rencontre.
Aie, me voilà Témoin de Jéhovah en Chine. Et toujours en train de jouer avec la frontière intégration/noyade.