Bon, voilà une réflexion que j'aurais préféré partager avec mon Amoureux ou ma Maman autour d'une tasse de thé, noir pour l'occasion (un Paul et Virginie à la Route de Samarkande ou un Jade de la Compagnie anglaise des thés siroté sur le canapé du salon). Mais mes choix m'ont amenée loin d'eux et me voilà à cogiter seule... et à vous livrer mes états d'âme (Ciel! Je n'arriverai donc jamais à détacher mon "moi" de mes mots! Vain combat). Je me fais l'écho de Cherryplum, dont le blog révolutionne ma vie chaque jour, pour m'interroger sur ma vie future.
Contexte: éventualité d'emploi en CDI à Pékin. Salaire, niveau hiérarchique et prestige au dessus de mes plus hautes espérances (pas très hautes à vrai dire, avec tout ce que j'ai entendu sur ma formation ces derniers temps...). Probabilité d'embauche : 5% -largement suffisant pour déclencher un bouleversement psychologique sur le sens de ma vie. Amoureux en vadrouille de par le monde, et qui n'a rien trouvé de mieux que de poster deux cv: Norvège et Inde (Delhi).
La question est donc : ou cours-je? et surtout que cherche-je...
Oui, qu'est ce que je recherche vraiment à travers mon emploi? Je vous passe l'intro Sc-Po avec étymologie (travail - tripalium - torture). Travailler, c'est difficile, c'est fatigant, c'est stressant -le mot est lâché. C'est aussi contraignant, ça prend du temps... je suppose que chacun de vous pourrait rajouter ses propres qualificatifs et étendre cette liste à l'infini. Ciel! (encore lui) Mais pourquoi travaille-je donc?
Pour gagner ma vie. Gagner ma vie?! Quelle drôle d'expression. Qu'ai-je donc à gagner? On m'a offert la vie à ma naissance, et avec, le devoir de la préserver et le droit de la gérer; mais je ne vois pas en quoi je pourrais la "gagner". Je travaillerais donc pour gagner de l'argent. Et après? Après je dépenserai mon argent, je prendrai une Ayi, changerai de vélo, me rapprocherai du centre, aurai une vraie salle de bain. J'irai au restaurant, j'achèterai cette superbe jupe vieux rose des Fées de Bengale, tous ces livres qui me feront une jolie bibliothèque mais qui m'auraient autant nourrie si je les avais empruntés. Mais qu'est ce qui dans tout ça mérite que je m'échine 40h par semaine, que je ne trouve plus le temps d'écrire ni de faire du yoga, de faire la sieste et de finir ce roman que j'ai commencé de lire il y a 3 semaines...? De partager des moments simples avec mes amis et ma famille? De me rendre utile?
Est-ce vraiment la nécessité de manger qui me pousserait à accepter un tel emploi? Ou un mélange de pression sociale ("Jamais on ne te proposerait un boulot pareil en France, tu serais foooolle de refuser!"), le regard des autres ("Une si brillante étudiante, quel gâchis d'avoir dit non"), de peur ("Et si je ne retrouvais pas de travail après? Et comment payer ma retraite et mes frais médicaux plus tard?"), de culpabilité ("Vivre au crochets de mon homme? Moi?! Femme moderne et indépendante?!")
A quel but de ma vie dois-je faire correspondre mon emploi? Le bonheur...? Ouch, vaste mot. L'épanouissement? Dans quelle mesure cette recherche d'activité ne cache-t-elle pas la peur de la mort, la peur du vide et du rien qui laisse trop de temps pour cogiter? La peur de régresser (L'oisiveté n'est-elle pas mère de tous les vices, dit-on...?)
Et si le but était simplement de vivre! Et non pas de perdre sa vie à la gagner.
Alors pourquoi pas l'Inde et une ONG à mi-temps? Après tout, ma première ambition professionnelle à la maternelle n'était-elle pas le socio-professionnellement médiocre "infirmière en Afrique" ("pour les petits Noirs" dans mon vocabulaire de l'époque)? Qu'est ce qui m'oblige à avoir de l'ambition? Mon père n'aurait-il pas été infiniment plus heureux s'il avait pu travailler sa terre plus tôt, au lieu de sacrifier aux standards de son époque? Puis-je décemment râler après des métiers de l'environnement qui ne me donnent pas les moyens de sauver la planète et rester immobile dans ce système? L'idée de l'Inde, c'est l'occasion de mettre à profit les différences de conception de la vie entre mon Amoureux et moi : la réponse à ses ambitions, la sensation réconfortante d'utilité sociale pour mes angoisses, l'illusion de richesse dans un pays pauvre.
Nos conceptions différentes de la vie : l'ambition de celui qui a dû emprunter pour étudier et a honte de dire qu'il n'a pas de voiture, la prise de tête de celle qui n'a jamais manqué de rien. Et si ma lubie de simplicité volontaire n'était qu'un luxe de petite fille riche?